Sport de Lancer avec Armé du Bras
Dr. Nicolas LAPIE
Afin de comprendre l’origine des pathologies de l’épaule du lanceur, il faut se pencher sur le geste et les conséquences de sa répétition.
Le sport le plus caractéristique, et qui a grandement aidé dans la compréhension des pathologies, est le pitcher (lanceur au baseball). Le geste du lanceur normal, pour simplifier, consiste à porter l’humérus en Abduction (dans le plan de l’omoplate, et non en arrière du tronc) et rotation externe afin de générer une force de lancer. Pour le pitcher et d’autre lanceur, afin d’augmenter cette force, le bras se déplace de plus en plus, avec l’entrainement, en hyperotation externe.
L’adaptation physiologique de l’épaule permet dans un premier temps une amélioration des performances de celle ci. Mais jusqu’ à un certain point, car lorsque les capacités d’adaptation sont dépassées, surviennent les lésions anatomiques.
Ces lésions peuvent être regroupées en 3 groupes :
- lésions articulaires (labrum, biceps, ligament glénohumérale inferieur LGHI)
- les dysfonctions de la scapula
- les pathologies de la coiffe des rotateurs
Les 2 premières sont assez spécifiques au lanceur, le dernier (la coiffe) résulte aussi d’un mécanisme d’overuse par passage répété des tendons de la coiffe sous l’arche acromiale (se voit également dans d’autre sport de surmenage, cf catégorie 3 article général épaule et sport).
L’adaptation physiologique de l’épaule, à l’origine des lésions, est la rétraction de la capsule (enveloppe de l’articulation) postéro inférieure.
A l’armé du bras, (en abduction, rotation externe), il existe un contact physiologique entre trochiter (extrémité proximale de l’humérus, zone d’insertion de la coiffe des rotateurs) et la glène postérosupérieure. La répétition de ce contact peut parfois engendrer des lésions du labrum et de la face profonde de la coiffe : c’est le Conflit postérosupérieur (Conflit PS). L’épaule du lanceur s’est adaptée : La rétraction progressive de la capsule postéroinférieure déplace le centre de rotation de la tête humérale (en haut et en arrière), la rotation externe augmente (amélioration des performances de lancer), et ce mécanisme retarde le Conflit PS. Le prix à payer est la distension des parties molles en avant notamment du ligament glenohuméral inferieur (et du labrum antérieur/lésion de bankart) pouvant être à l’origine d’une microinstabilité antérieure (cf infra). Cette adaptation fonctionne jusqu’à être dépassé, elle devient alors l’épaule à risque (cf Infra) :
1. Pathologies articulaires
1.1 Les lésions du labrum et de l’insertion du long biceps (SLAP)
1.1.1 Le Labrum posterosup
Même si le contact entre trochiter et glène est retardé par les mécanismes que nous avons vu, il se fait quand même, d’autant plus que le lanceur va chercher loin en arrière pour gagner de la puissance (le tronc s‘avance, le bras est en arrière du plan de l’omoplate). Les lésions du labrum (en haut et en arrière de la glène) se retrouvent dans le conflit PS, elles sont associées parfois à des lésions de la face profonde du sus épineux ou du sous épineux (lésion en miroir).
On retrouve des douleurs à l’armé du bras, parfois en arrière, avec des signes d’irritation de la coiffe supérieure, en poussant la tête en arrière (en position d’armé), l’examinateur soulage la douleur en éloignant les 2 zones entrant en conflit (test de recentrage mais il n’y a pas d’appréhension comme dans l’instabilité antérieure).
L’ArthroTDM recherche des lésions du labrum PS, de la coiffe et parfois un éperon osseux sur la glène traduisant le contact répété entre trochiter et omoplate.
1.1.2 SLAP
On appelle SLAP les lésions de la partie supérieure du labrum, au niveau de l’insertion de la longue portion du biceps.
L’hyperrotation externe associée au déplacement du centre de rotation vers l’arrière induit des forces de traction sur le pied du biceps, à l’origine des ces lésions. Au début, le lanceur ressent une sensation de contracture de l’épaule avec des difficultés au relâchement. Typiquement il peut ressentir une sensation de bras mort, mais d’autres présentations cliniques existent : douleurs de l’épaule atypique, symptômes irradiant dans le biceps.
L’imagerie (IRM ou arthroTDM) peut mettre en évidence la lésion mais il s’agit parfois d’une découverte lors de l’arthroscopie car la clinique et l’imagerie sont de temps en temps insuffisantes.
1.2 Le labrum antérieur et le LGHI
Nous l’avons vu plus haut, l’hyperrotation externe nécessaire au lancer puissant entraine une distension des parties molles en avant, en particuliers sur le ligament glenohuméral inférieur, ligament de la stabilité antérieure. On retrouve des avulsions du labrum antérieur, une laxité du LGHI trop importante, induisant une « microinstabilité » comme les luxations récidivantes antérieures. Le test d’appréhension (position d’armé du bras) est positif, l’épaule est instable en avant, conséquence de l’extrême mobilité acquise pour le geste du lancer.
Quelle est l’épaule à risque, celle qui bascule d’une adaptation physiologique au pathologique ? L’épaule à risque peut être analysée sur le geste de l’armé et sur des constatations cliniques. A l’armé du bras, lorsqu’il se retrouve en arrière du plan de l’omoplate, souvent par avancée du tronc, l’articulation se retrouve en dehors d’une zone de sécurité (en particuliers par diminution de l’abduction au lancer), et le risque de conflit postéro supérieur est réel. D’autre part la modification des rotations est le critère à analyser. L’adaptation physiologique du lanceur crée un gain de rotation externe RE2 (en position d’armé du bras). La conséquence est la perte équivalente de rotation interne dans la même position (RI2). Tant que cette perte est égale au gain de RE2, l’épaule est équilibrée, mais si la perte de RI2 est supérieure, alors cela traduit la rétraction de la capsule posteroinférieure et un déplacement du centre de rotation avec les conséquences vues plus haut (conflit PS, SLAP, laxité antérieure…). L’épaule à risque est celle dont le gain de rotation externe (RE2) n’est pas égal à la perte de rotation interne (RI2). |
Notez la rotation externe de l'épaule droite. Le coude droit reste dans le plan de l'omoplate (du dos), il n'est pas en arrière, zone à risque.
2. La scapula : dysfonctionnement ou dyskinésie (SICK scapula)
L’articulation glénohumerale ne peut fonctionner sans la scapula et son articulation scapulothoracique. Elle constitue un point d’ancrage essentiel sur le grill costal, son bon positionnement permet un fonctionnement harmonieux de la glénohumérale. Il est donc logique qu’en cas de pathologie à ce niveau, celle-ci entraine des conséquences sur l’épaule (la glénohumérale et l’espace sous acromial).
On appelle dyskinésie une anomalie de fonctionnement des muscles entourant la scapula (omoplate) entrainant un mauvais positionnement de celle-ci, pouvant entrainer des douleurs d’origine variées.
Cher le sportif de lancer, la fatigabilité musculaire par répétition du geste (surmenage) est à l’origine d’un dysfonctionnement de la scapula, entrainant son mauvais positionnement sur le grill costal : c’est la SICK scapula.
La scapula est alors trop latérale. L’examen clinique retrouve une proéminence de sa pointe inferieure avec une douleur de l’angle superomédial et de l’apophyse coracoïde. De face, l’épaule est plus basse que l’autre coté. Cette malpositon est le lit du conflit sous acromial classique car l’acromion est trop latéral, il ne s'efface pas suffisamment à l’armé du bras (conflit secondaire). On retrouve également une atteinte acromioclaviculaire mais aussi des lésions du labrum.
3. La coiffe
Indépendamment des pathologies propres au lanceur, l’atteinte de la coiffe est logique par surmenage en fonction du geste réalisé. On retrouve toutes les lésions possibles : tendinopathie, lésion partielle ou totale.
L’atteinte de la coiffe peut également être la conséquence d’un conflit postérosuperieur (face profonde sus épineux/sous épineux).
Le conflit sous acromial secondaire par une Sick scapula explique aussi certaines tendinopathies (mauvaise position de l’acromion).
Enfin rappelons le rôle essentiel de stabilisateur dynamique de la coiffe qui en position d’armé du bras, s’efforce à maintenir un centrage de la tête humérale correct, mais également lors de la phase d‘accélération et de passage du bras en limitant la translation antérieure de l‘humérus. Un défaut à ce niveau, par lésions ou par insuffisance musculaire ne permet plus un équilibre et un centrage parfait de la tête (lésions capsulolabrales).
A retenir : les lésions de l’épaule du lanceur sont variées, parfois non spécifique par surmenage, et parfois spécifique par les conséquences de la rétraction capsulaire postéro inferieure. L’examen clinique permet de guider le thérapeute, aidé de l’imagerie médicale. L’étude du gain de rotation externe par rapport à la perte de rotation interne est la clé, sans oublier l’analyse du rythme et de la position de la scapula. L’épaule à risque : gain de RE2 supérieur à perte de RI2, SICK scapula, et geste en dehors de la zone de sécurité (diminution de l’abduction, armé du bras en arrière du plan de la scapula) |
4. Cas particuliers : lésions neurologiques
L’épaule a un environnement neurologique riche et susceptible d’être atteint.
Ces lésions peuvent être des accidents aigus : chute ou contact. De nombreuses lésions sont possibles (plexus brachial). Les plus classiques seront répertoriées dans le chapitre du sport en question.
En revanche, l’épaule du lanceur, par surmenage expose à des lésions chroniques plus spécifiques. Par la répétition du geste, certains nerfs, du fait de leur caractéristique anatomique sont plus exposés :
- le nerf suprascapulaire : atteinte la plus fréquente. Le trajet du nerf est fait de « chicanes » exposé aux mouvements répétés de traction entrainant une atteinte chronique (Atteinte microtraumatique). La traduction clinique est l’amyotrophie du muscle sus épineux mais surtout sous épineux. Elle est visible « à jour frisant » en examinant le dos du sportif au niveau de la fosse sous épineuse. Le déficit de force est logique en rotation externe. Le Lanceur peut se plaindre de douleur de l’épaule plutôt postérieure, d’une fatigabilité ou d’une imprécision du geste. L’atteinte est parfois asymptomatique. L’IRM recherche un kyste, des signes de souffrance du muscle sous épineux, l’EMG recherche une atteinte du nerf suprascapulaire mais il n’est pas toujours contributif.
Syndrome de l’espace quadrilatère : compression du nerf axillaire, et atteinte du deltoïde et du teres minor (douleur postérieure de l’épaule)
5. Les traitements
Les traitements sont le plus souvent médicaux. Ils concernent dans un premier temps la cause, il est également préventif.
Lorsque les lésions sont installées, il faut prendre en charge les conséquences de l’adaptation de l’épaule du lanceur.
5.1 Traitement de base
La première partie du traitement est non spécifique, elle concerne la prise en charge de la phase inflammatoire : repos (relatif, jamais d’arrêt complet), physiothérapie, massages décontracturants, traitement anti inflammatoire, parfois infiltration.
La 2ème phase concerne la récupération des mobilités de l’épaule, en particuliers de la rotation interne : il faut rééquilibrer cette perte de RI2 si délétère : stretching de la capsule postéroinferieure.
Phase 3 : éviter la récidive par le renforcement musculaire : renforcement des rotateurs externes souvent moins forts que les rotateurs internes (4 rotateurs internes contre 2 externes, « le match est déjà perdu d’avance ») : Le bilan isocinétique est utile.
Renforcement des stabilisateurs de l’omoplate et prise en charge de la Sick scapula : cf protocole.
Traitement de base : phase inflammatoire, phase de récupération des mobilités et assouplissement de la capsule postéroinferieure, phase de renforcement musculaire sur les rotateurs externes et stabilisateurs de l’omoplate. |
5.2 Les conséquences : traitement à la carte en fonction des lésions
5.2.1 Conflit Postéro-Supérieur
En cas d’échec du traitement médical : Arthroscopie pour ablation du spicule osseux glénoïdien, débridement de la lésion du labrum situé entre 9h et 11h/midi, et prise en charge de la lésion de la coiffe selon la gravité : du simple avivement à la suture . Peu d’immobilisation post opératoire, mais reprise des sports avec armé du bras après un délai d’au moins 3 mois post op. Le résultat dépend de l’âge du patient, et des lésions associées (la coiffe).
5.2.2 SLAP
2 traitements possibles sous arthroscopie : soit la réinsertion par ancre soit la ténotomie /ténodèse dans la gouttière. La tendance actuelle est le deuxième choix, mais la réinsertion se discute chez un jeune patient. Il est logique d’associer une arthrolyse arthroscopique postéroinferieure dans le même temps opératoire (en cas de perte de RI2)
5.2.3 La coiffe
Les lésions sont variées : tendinopathie de surmenage (traitement médical), par conflit (recherche d’une sick scapula), lésion partielle face profonde par conflit PS (traitement du conflit PS cf supra) et lésions de coiffe complète : réinsertion arthoscopique. (cf lésions de coiffe classique)
5.2.4 L’instabilité
L’hyperotation externe acquise induit une distension des parties molles antérieures (distension capsulaire, lésion de bankart) entrainant une microinstabilité antérieure. Le traitement est délicat car il faut trouver un compromis entre stabiliser l’épaule sans trop l’enraidir car cette rotation externe importante (laxité) est nécessaire pour le lanceur : pas de consensus : soit bankart arthroscopique avec retension capsulaire (le plus logique), soit butée coracoïdienne pour son effet Hamac sur le sous scapulaire.
5.2.5 Nerf suprascapulaire
Traitement médical (60% succès, surtout si débuté tôt) : repos, AINS, pour certains infiltration locale ou corticothérapie par voie générale, et rééducation.
Le traitement chirurgical se discute en cas d’échec du traitement médical (délai non consensuel : 3 ou 6 mois). Il semble plus cohérent d’opérer:
- en cas de compression par un kyste
- en cas de diagnostic fait tôt dont l’évolution n’est pas rapidement satisfaisante (Il ne semble pas logique d’attendre l’installation d’un déficit important)
- dépend de l’origine anatomique de la compression.
En cas de forme ancienne, le pronostic de récupération musculaire est réservé mais la douleur est améliorée. La chirurgie consiste en une libération du nerf suprascapulaire à l’incisure scapulaire sous arthroscopie (chirurgie ambulatoire, pas d’immobilisation) et à l’évacuation du kyste éventuel (Diagnostic IRM).